Un droit de l’eau pour un droit à l’eau

Retour sur la Conférence des Nations Unies sur l’eau 2023

Par Inès Benadda, avocate et vice-présidente à l’OIDN et Yenny Vega Cardenas, avocate et présidente à l’OIDN

Il s’est passé 46 ans depuis la dernière Conférence des Nations Unies sur l’eau. C’était en 1977 à Mar del Plata, en Argentine, depuis tout ce temps le monde entier ne s’était pas donné rendez-vous pour l’eau.

L’enjeu de l’eau et de sa protection dépasse les frontières et nous confronte à un défi de taille pour la prochaine décennie car elle sera déterminante. Comme le dernier rapport du GIEC l’indique, c’est un appel d’alarme de la communauté scientifique internationale pour la suite de notre monde. En effet, on y souligne une augmentation des risques liés à l’eau et des menaces qui pèsent sur la disponibilité et la qualité de l’eau, aggravés par le réchauffement de la planète.

« Des discussions notamment avec Henk Ovink, le Rapporteur spécial des affaires internationales sur l’eau pour les Pays-Bas, (Co-hôte de la conférence mondiale sur l’eau) au sujet des solutions fondées sur la Nature pour protéger l’eau, ont été fructueuses. » Inès Benadda, Avocate et Vice-présidente à l’OIDN.

Avant ce rendez-vous international ayant eu lieu du 22 au 24 mars derniers au siège des Nations Unies à New York, la COP-27 à Sharm El-Sheikh en Égypte avait intégré la discussion sur l’eau au cœur du débat climatique en prévoyant une journée thématique entière dédiée à l’eau. On a reconnu le rôle essentiel des écosystèmes aquatiques dans les mesures d’adaptation aux changements climatiques, tout comme le fait qu’il faut protéger la nature pour protéger les gens. L’Observatoire international des droits de la Nature (OIDN) y avait d’ailleurs tenu la conférence Préserver le Nil et le St-Laurent par le dialogue concernant leurs personnalités juridiques au Pavillon du Canada.

Image: de gauche à droite : Henk Ovink, Rapporteur spécial des affaires internationales sur l’eau pour les Pays-Bas et Inès Benadda, Avocate et Vice-présidente à l’OIDN.

Lors de la COP-15 à Montréal, le nouveau Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal adopté fait le lien entre les changements climatiques et la protection de la biodiversité. Une avancée majeure est faite en reconnaissant que les droits de la Nature et les droits de la Terre-Mère sont une partie intégrante de la réussite de la mise en œuvre du cadre mondial. Les cibles 8 et 11 mettent en avant l’importance de solutions et d’approches fondées sur la nature et/ou les écosystèmes. Ces démarches sont dans l’intérêt de tous afin de réduire l’impact du changement climatique sur la biodiversité. L’OIDN y avait tenu la conférence Voix des Rivières : Conversation sur la biodiversité au Pavillon du Canada.

Inès Benadda, V.P. OIDN et Yenny Vega Cardenas, Présidente OIDN.

À la Conférence des Nations Unies sur l’eau, on s’est particulièrement questionné sur la mauvaise gestion du cycle de l’eau par l’être humain. Il est primordial de mettre en œuvre un apprentissage à partir des échecs du passé et du présent. Or, on ne se demande pas assez si la gestion de notre comportement est à revoir, notamment celui de vouloir littéralement gérer le cycle de l’eau.

Nous regardons et concevons notre rapport à l’eau sous un modèle anthropocentrique. Force est de constater que ce modèle est inadéquat devant les défis de notre décennie. Il ne considère pas et ne remet pas en cause les obligations et les responsabilités de l’être humain vis-à-vis des écosystèmes aquatiques qu’il utilise, use et pollue. Une gestion non pas du cycle de l’eau, mais bien une gestion du comportement de l’être humain vis-à-vis du cycle de l’eau devrait plutôt être appliquée. On parlerait ainsi d’un droit de l’eau, qui une fois protégé et préservé assurerait le droit à l’eau pour l’être humain. En effet, protéger la source d’eau, de son bassin versant, permet d’assurer que l’écosystème entier soit en bonne santé. Et un écosystème en bonne santé assure la bonne santé des gens.

Image de gauche à droite: Inès Benadda, Avocate et V.P. OIDN, Yenny Vega Cardenas, Avocate et Présidente OIDN.

C’est en ce sens qu’une solution fondée sur la nature, comme celle travaillée par l’Observatoire international des droits de la Nature (OIDN) pour protéger l’eau, est une avenue innovante et pertinente. Cela ayant pour objectif de protéger un écosystème aquatique en lui reconnaissant une personnalité juridique et des droits lui étant propres. L’exigence d’une réparation lorsqu’un dommage lui est causé s’avère un moyen de réconcilier l’être humain avec la nature. Un droit de l’eau pour garantir un droit à l’eau. De plus, ce modèle de gestion implique l’inclusion des communautés locales et des communautés autochtones, dans le partage des connaissances scientifiques actuelles et ancestrales ainsi que dans la prise de décision.

Image de gauche à droite : Yenny Vega Cardenas, Présidente OIDN; M. Pedro Arrojo Agudo, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains à l’eau et à l’assainissement et Inès Benadda, Vice-Présidente OIDN.

L’Alliance St-Laurent initiée par l’OIDN a d’ailleurs comme but de reconnaître la personnalité juridique au Fleuve Saint-Laurent. Quelques membres de l’Alliance étaient présents à New York pour la Conférence des Nations Unies sur l’eau afin de partager le projet avec monde entier. Notamment, des discussions fructueuses qui ont eu lieu avec Pedro Arrojo Agudo (le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme à l’eau et à l’assainissement) ainsi qu’avec Henk Ovink (le rapporteur spécial des affaires internationales sur l’eau pour les Pays-Bas) au sujet de cette solution fondée sur la Nature pour protéger l’eau.

De gauche à droite: Luc Noël, Préfet MRC Minganie, Me Inès Benadda, V.P. OIDN, Me Yenny Vega Cardenas, Présidente, OIDN, Jean-Charles Piétacho, Chef Innu Ekuanitshit.

Cet élan international est aussi l’occasion d’un appel à la population du Québec, tout comme d’une invitation aux municipalités et aux premières Nations de se joindre à l’Alliance St-Laurent, afin que la protection de l’eau devienne une véritable priorité. Jusqu’à présent, près de 17 municipalités ont adopté une résolution afin de s’y joindre partout à travers la province. Puis aussi cinq nations Innu via le Conseil Tribal de Mamuitun, 11 organisations non-gouvernementales dont Le Semoir, Des Rives et Arbre Évolution (qui étaient présents à New York), deux centres de recherche sur l’eau et les écosystèmes au Québec et en plus la participation citoyenne.

Cette démarche traduit une volonté de reconnaître le lien entre l’être humain et l’eau, avec une solution basée sur la nature, un véritable modèle de gouvernance qui intègre et protège le rôle d’un écosystème sain. Ainsi est venu le moment de négocier une déclaration mondiale sur l’eau afin d’intégrer le droit de l’eau, nécessaire pour les écosystèmes et le droit humain à cet élément vital. De plus, il est nécessaire de constituer un fonds mondial pour l’eau afin d’appuyer les infrastructures en eau potable et en assainissement des plus démunis en contingence avec une institution dédiée à l’eau au niveau mondial. Cela étant la dernière recommandation faite lors d’un des dialogues interactifs tenu à la Conférence sur l’eau.

Mars, 2023.

 

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