Yenny Vega Cardenas,
Ph.D., Abogada y Presidente, Observatoire international des droits de la Nature
Patricia Urteaga,
Professeure Pontificia Universidad Católica del Perú, chercheure associée OIDN
Alberto Salazar,
Professeur, Carleton University, Canada, chercheur associé OIDN
Le 8 mars 2024, la Cour supérieure de justice de Loreto (Pérou) a reconnu à la rivière Marañón le statut de sujet de droits. Elle a statué sur un recours introduit par MARILUZ CANAQUIRI MURAYARI, membre du peuple autochtone Kukama, de la communauté de Shapajilla et présidente de la fédération HUAYNAKANA KAMATAHUARA KANA, contre PetroPerú S.A., le Ministère de l’environnement et d’autres acteurs étatiques. Les plaignants étaient soutenus par l’ONG Instituto de Defensa Legal et autres ONGs.
La requérante a demandé à la Cour de reconnaître la rivière Marañon et ses affluents en tant que sujet de droits, compte tenu de la valeur intrinsèque de la rivière dans leur culture et, en particulier, de la valeur spirituelle du fleuve pour le peuple autochtone Kukama.
La rivière Marañon est l’un des cours d’eau les plus importants du Pérou. C’est le deuxième plus long au pays et l’un des affluents du Fleuve Amazone. La rivière Marañon présente une diversité terrestre et aquatique unique et traverse les territoires des peuples autochtones et des populations métisses qui vivent le long de ses rives. Ces populations riveraines tirent leurs moyens de subsistance de la rivière, de la pêche et de la consommation d’eau douce. Le peuple Kukama est considéré comme un excellent pêcheur.
Le procès a eu lieu dans le contexte des déversements constants de pétrole le long de la rivière Marañón en raison de fissures dans l’oléoduc nord-péruvien qui traverse ces territoires. Depuis des décennies, les femmes Kukama et leurs familles souffrent de la contamination de la rivière et de ses affluents par le pétrole, ce qui affecte leur santé et celle des habitants des communautés environnantes. La présence de métaux lourds a été constatée dans le sang des habitants Kukama de certaines communautés riveraines. Face à cette situation, les Kukama ont développé diverses stratégies. Certaines communautés ont même demandé des mesures de précaution à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Cependant, les autorités n’ont pas fait grand-chose pour prévenir les dégâts.
Source: Infoamazonia.org, 2014.
La pétitionnaire demande que 11 droits soient reconnus à la rivière, y compris le droit d’être libre de toute contamination, le droit à la conservation de sa structure et de ses fonctions écologiques, et le droit d’être représenté devant les tribunaux et les actions administratives, entre autres. À cet égard, il est également demandé qu’un organe collégial soit nommé pour représenter la rivière, dans lequel l’État et les communautés autochtones agissent en tant que gardiennes et défenseurs de la rivière Marañón et de ses affluents.
L’action en justice et les nombreux documents soumis par diverses organisations soutenant le plaignant invoquent l’importance de l’évolution de l’interprétation par le système judiciaire des normes juridiques et constitutionnelles du Pérou qui, bien qu’elles ne reconnaissent pas directement le paradigme des droits de la Nature et de la personnalité juridique des rivières, conviennent de l’importance et de l’urgence d’adopter un paradigme qui protège mieux la Nature. Par conséquent, un appel est lancé sur l’importance de considérer la valeur intrinsèque des entités naturelles dans le contexte d’une Constitution péruvienne qualifiée d’écologique. De même, il est demandé de considérer le contrôle de conventionnalité qui permet de prendre en considération les décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui a récemment approfondi la perspective écocentrique depuis l’avis consultatif OC-23/17. Cette haute juridiction a également souligné à plusieurs reprises l’interdépendance entre la culture, les territoires et les droits des peuples autochtones. Elle a d’ailleurs statué sur le fait que les pratiques traditionnelles des peuples autochtones et leur identité culturelle sont compatibles avec l’utilisation durable de l’environnement. Elle invoque également les dispositions de la Convention-cadre sur la diversité biologique et notamment la décision CBD/COP/DEC/15/4 du nouveau cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal adopté en décembre 2022. A cet égard, ce dernier document intègre expressément les droits de la Terre nourricière ou de la Nature comme un vocabulaire novateur de la Convention et comme l’une des valeurs à intégrer dans la prise de décision pour protéger et améliorer l’état général de la biodiversité.
Source: Auteurs.
- Le droit de couler,
- Le droit de fournir un écosystème sain,
- Le droit d’être libre de toute contamination,
- Le droit de se nourrir et d'être nourri par ses affluents,
- Le droit à la biodiversité,
- Le droit d'être rétabli,
- Le droit à la régénération de ses cycles naturels,
- Le droit à la conservation de sa structure et de ses fonctions écologiques,
- Le droit à la protection, à la préservation et à la récupération,
- Le droit d'être représenté.
En plus de faire un grand pas en avant dans la reconnaissance de la valeur symbolique de la rivière en tant que sujet de droits, la décision se prononce sur des aspects concrets qui contribuent à rendre opérationnels la reconnaissance et la protection de la rivière. Ainsi, l’État et les organisations autochtones sont reconnus et désignés comme gardiens, défenseurs et représentants de la rivière Marañón et de ses affluents.
La Cour a également ordonné la création de conseils de bassin versant dans lesquels les populations autochtones seraient incluses avec une capacité de prise de décision pour chaque affluent. Enfin, la Cour a ordonné à PetroPeru de préparer et de présenter au Ministère de l’énergie et des mines le projet de mise à jour de son instrument de gestion de l’environnement (IGA), afin que cet instrument comprenne une évaluation complète des impacts identifiés dans le cadre de l’activité de transport d’hydrocarbures par le pipeline norpéruvien, et de prendre des engagements environnementaux pour garantir la gestion et l’atténuation adéquates de ces impacts, ainsi que de mener des consultations préalables avec les institutions et organisations autochtones afin de coordonner l’approbation de l’IGA.
Source: Auteurs.
Source: Auteurs.
Cela démontre que la consécration des droits de la Nature peut avoir un impact significatif sur les obligations des entreprises en matière d’environnement. En tant que telle, cette affaire constitue un précédent important pour les sociétés minières au Pérou. Il sera crucial d’évaluer l’efficacité des obligations ordonnées par la Cour. Par exemple, il faudra s’assurer que l’évaluation environnementale de l’entreprise est adéquate et transparente, et que le Ministère joue correctement son rôle de supervision. On s’attend également à ce que la consultation préalable des communautés autochtones soit prise au sérieux et que ces organisations aient une réelle possibilité d’intégrer efficacement leurs points de vue et leurs intérêts et de contrôler le respect global de ces obligations.
Ainsi, la décision ne reconnaît pas seulement la rivière comme sujet de droits, mais propose également des solutions qui peuvent rendre opérationnelle la protection de ses droits et protéger la rivière face aux multiples déversements de pétrole causés par cette industrie, qui a mis en danger la santé des communautés autochtones vulnérables et qui, pendant des années, n’ont pas été entendues. Espérons que la création d’entités telles que le conseil de bassin et la commission des gardiens du fleuve se fasse de manière efficace et rapide afin de donner de la vitalité à une décision historique aussi importante qui marque un nouveau paradigme pour les rivières et fleuves au Pérou.
Post Scriptum
La décision de la Chambre civile est accessible ici: Lien vers la Décision.