Droits de la Nature et responsabilité climatique : une comparaison stratégique entre l’avis de la CIJ et la Cour interaméricaine des droits de l’homme

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Par: Yenny Vega Cardenas, Ph.D., avocate et Présidente, Observatoire international des droits de la Nature

La crise climatique, considérée aujourd’hui comme une urgence planétaire, a suscité une évolution majeure du droit international, tant au niveau global qu’interaméricain. Deux décisions récentes illustrent cette transformation : l’Opinion consultative de la Cour internationale de justice (CIJ), rendue à la demande de la République de Vanuatu et d’autres États membres de l’ONU le 23 juillet 2025 et l’Opinion consultative OC-32/25 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cour IDH), demandée par le Chili et la Colombie. Les deux avis convergent sur l’importance cruciale de protéger le système climatique et ses composantes, mais chacun introduit des nuances et des outils normatifs distincts, particulièrement concernant les droits de la Nature et la responsabilité des États.

1. Objet et portée des avis consultatifs

L’avis de la CIJ se concentre sur les obligations des États en matière de protection du climat et protection de la Planète, en vertu du droit international conventionnel et coutumier. La Cour souligne que ces obligations sont impératives et engagent la responsabilité internationale de l’État en cas de manquement, avec des mesures correctives incluant la cessation, la non-répétition et la réparation des dommages. L’accent est mis sur la nécessité d’une action collective, la coopération internationale et l’intégration des meilleures connaissances scientifiques disponibles (CIJ, 23-07/25).

La Cour IDH, quant à elle, place la question climatique dans une perspective humaniste et écocentriste plus large, en reconnaissant explicitement la Nature comme sujet de droits. L’avis OC-32/25 interaméricain identifie le droit à un environnement sain et le droit à un climat sain comme droits autonomes, protégeant à la fois les êtres humains et les composantes des écosystèmes. Cette reconnaissance constitue une avancée paradigmatique en Amérique, dépassant la vision anthropocentrique classique et établissant que la protection climatique ne peut être dissociée de la sauvegarde des écosystèmes et de la biodiversité.

Ainsi, tandis que la CIJ fournit un cadre juridique stricte et obligatoire, l’avis interaméricain introduit une dimension éthique, préventive et intégrative, associant droits humains, droits de la Nature et développement durable.

Source: UN Photo

 

2. Droits de la Nature et innovations normatives

La CIJ, tout en reconnaissant l’importance de la protection des écosystèmes pour la santé humaine et la durabilité planétaire, ne consacre pas formellement la Nature comme sujet de droits. La responsabilité des États repose sur le respect de leurs obligations de diligence, la prévention des dommages significatifs et la coopération internationale. La décision offre néanmoins des outils précis pour évaluer la responsabilité étatique et favoriser la protection des puits de Carbonne qui favorisent la mise en œuvre de politiques climatiques cohérentes à l’échelle globale.

À l’inverse, la Cour IDH va plus loin en affirmant que les écosystèmes et leurs composantes peuvent bénéficier de droits autonomes. Cette décision, constitue un tournant juridique majeur : elle légitime la personnalité juridique de la Nature et permet d’imputer directement aux États des responsabilités pour la dégradation des écosystèmes. Elle s’inscrit dans une tendance internationale qui inclut des exemples concrets en Amérique latine (Équateur, Bolivie, Panama, Colombie) et en Amérique du Nord, comme la reconnaissance des droits de la rivière Magpie (Mutehekau-shipu) au Québec, validée par la Municipalité régionale de comté de Minganie et la communauté Innu d’Ekuanitshit en 2021.

Cette reconnaissance juridique est stratégique pour le Canada, où les initiatives locales en faveur des droits des écosystèmes peuvent désormais s’appuyer sur une légitimité internationale, renforçant le plaidoyer des communautés autochtones et des gouvernements municipaux pour la protection des rivières, forêts et terres ancestrales.

3. Responsabilité des États : un carrefour entre droits humains et Nature

Les deux avis s’accordent sur le principe que les États ont une responsabilité continue et internationale en cas de non-respect de leurs obligations climatiques. La CIJ détaille la responsabilité en termes de droit international classique : cessation, non-répétition et réparation, incluant restitutions et indemnisation. La Cour IDH complète cette approche en associant explicitement la responsabilité étatique à la protection des droits de la Nature et à la prévention des atteintes irréversibles au climat, désormais reconnues comme relevant du jus cogens.

Pour le Canada et les États-Unis, ces deux avis créent un double impératif :

  1. Adopter des politiques climatiques robustes conformes aux normes internationales, incluant réduction des GES, protection des écosystèmes et transition énergétique afin d’éviter la responsabilité internationale pour des dommages causés au climat.
  2. Reconnaître, voire légitimer localement, la protection juridique des entités naturelles (rivières, forêts, zones humides), renforçant ainsi la cohérence avec la jurisprudence interaméricaine.

Dans les autres pays des Amériques, notamment au Chili, en Colombie et dans les États membres de l’OEA, l’avis IDH fournit un cadre normatif plus robuste pour intégrer les droits de la Nature dans le droit national via le control de conventionnalité.

4. Démocratie environnementale et savoirs autochtones

L’avis interaméricain met l’accent sur la démocratie environnementale, l’accès à l’information et la participation publique, soulignant que les décisions climatiques doivent être inclusives et fondées sur la meilleure science disponible. Il reconnaît également la valeur des savoirs autochtones et ancestraux, essentiels pour la conservation et l’adaptation. Pour le Canada, cela légitime les initiatives des Premières Nations et des Inuits visant à protéger les territoires et les cours d’eau, en alignant les pratiques locales avec le mouvement global des droits de la Nature.

Les États-Unis, malgré leur tradition juridique moins favorable à la reconnaissance des droits de la Nature, peuvent s’inspirer de ces décisions pour développer des politiques environnementales intégrées, notamment dans les États ou municipalités ayant déjà adopté des régulations favorables aux droits de la Nature qui ont d’ailleurs été cités par la CIDH. Certes, toute autre manière de protéger la Nature est valide pour s’inscrire dans une politique climatique, comme c’est le cas des protections des écosystèmes via des parcs nationaux et des zones protégées.

5. L'Amazonie au cœur de la COP30

La reconnaissance des droits de la Nature prend une dimension particulière en Amazonie, région cruciale pour la régulation du climat mondial. En préparation de la COP30, prévue à Belém, au Brésil, les nations amazoniennes, dont la Colombie, ont renforcé leur coopération pour protéger la forêt tropicale. Lors du sommet présidentiel de l’Organisation du Traité de Coopération Amazonienne (OTCA) à Bogotá, le 22 août 2025, les dirigeants ont adopté la « Déclaration de Bogotá », soulignant l’importance de la reconnaissance des droits des peuples autochtones et de la préservation des écosystèmes forestiers.

Cette déclaration s’inscrit directement dans le dialogue international sur l’article 6.8 de l’Accord de Paris, consacré aux approches non basées sur le marché, en mettant en avant des actions centrées sur la Mère Terre et des perspectives écocentrées, dont les droits de la Nature constituent un pilier. La Colombie, en particulier, a été pionnière en reconnaissant l’Amazonie comme un sujet de droits en 2018, grâce à la décision historique de la Cour suprême colombienne.

6. Implications stratégiques et opportunités

Ces deux avis combinés représentent une révolution normative et stratégique pour l’ensemble des Amériques :

  • Ils réaffirment l’obligation de protéger le climat et l’environnement comme condition indispensable à la jouissance des droits humains.
  • Ils introduisent la notion de Nature comme sujet de droits, offrant des outils légaux pour prévenir la destruction des écosystèmes.
  • Ils permettent d’établir un cadre régional et international cohérent, renforçant la coopération, la responsabilité étatique et la participation citoyenne.

Pour le Canada et les États-Unis, ces décisions offrent l’occasion de mettre en cohérence les politiques climatiques nationales, Étatiques/provinciales, municipales et autochtones avec les standards internationaux, tout en renforçant la reconnaissance des droits des écosystèmes au niveau local. Pour les autres pays des Amériques, elles fournissent une référence normative solide pour l’élaboration de législations climatiques et environnementales intégrées.

7. Conclusion

L’avis de la CIJ (07-23/25) et l’avis interaméricain OC-32/25 de la Cour IDH convergent sur la nécessité d’une action urgente et coordonnée face à la crise climatique. La CIJ fournit un cadre juridique obligatoire et détaillé sur la responsabilité des États, tandis que la Cour interaméricaine élargit la perspective en reconnaissant les droits de la Nature et en consolidant le droit à un climat sain comme droit fondamental.

Pour le Canada, les États-Unis et les pays des Amériques, ces deux décisions constituent une opportunité stratégique de repenser la responsabilité climatique, de renforcer la protection juridique des écosystèmes et de promouvoir une approche intégrée des droits humains et des droits de la Nature. Elles inaugurent une nouvelle ère dans laquelle la sauvegarde des générations futures passe par la reconnaissance juridique et effective des droits de la Nature, tout en mobilisant les savoirs traditionnels et la participation citoyenne comme leviers essentiels de transformation.