Résumé analytique de l’Opinion consultative OC-32/25 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme : Urgence climatique, droits humains et droits de la Nature
Source: law.nd.edu
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Publié: Jul 10, 2025 | 10:30 am
« La décision de 234 pages de la Cour Interaméricaine constitue un véritable bijou juridique en matière de lutte contre les changements climatiques. Nous saluons chaleureusement le travail rigoureux et engagé des juges et auxiliaires qui ont rédigé ce texte étoffé, apportant une contribution majeure à la protection des droits humains et de la Nature. »
L’Opinion consultative OC-32/25, rendue le 29 mai 2025 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cour IDH) à la demande des gouvernements du Chili et de la Colombie, traite des obligations des États face à la crise climatique. Elle répond à une urgence : le dérèglement climatique affecte de manière grave et différenciée les droits fondamentaux, en particulier ceux des groupes les plus vulnérables. La Cour qualifie explicitement la situation actuelle d’urgence climatique, requérant une action immédiate et coordonnée. L’avis vise à clarifier les obligations des États parties à la Convention américaine des droits de l’homme, mais aussi celles de l’ensemble des États membres de l’Organisation des États américains (OEA), en vertu d’autres instruments régionaux comme la Déclaration américaine, la Charte de l’OEA ou encore le Protocole de San Salvador.
Source: I/A Court HR.
L’avis OC-32/25 s’inscrit dans la fonction consultative de la Cour IDH, qui lui permet d’interpréter les normes du système interaméricain des droits humains à la demande d’États ou d’organes de l’OEA. Ces avis ne sont pas contraignants comme les arrêts sur les affaires contentieuses, mais ils constituent une interprétation autorisée des normes, influencent les législations internes et servent de référence dans le contrôle de conventionnalité effectué par les juridictions nationales.
Ils jouent un rôle fondamental dans la consolidation des standards régionaux et sont susceptibles d’avoir une influence jurisprudentielle à l’échelle mondiale. La Cour souligne elle-même cette dimension, notant que son avis pourrait nourrir les délibérations actuelles de la Cour internationale de justice, de la Cour africaine des droits de l’homme, et potentiellement aussi de la Cour européenne des droits de l’homme.
La Cour réitère que le droit à un environnement sain est un droit autonome reconnu dans le système interaméricain. Il protège non seulement les êtres humains mais aussi les composantes mêmes de l’environnement — forêts, rivières, océans — comme intérêts juridiques en soi. Ce droit est aussi interconnecté avec d’autres droits : santé, intégrité physique, vie, etc.
Le droit à un environnement sain, dans sa dimension collective, constitue un intérêt universel qui engage les générations présentes et futures.
La Cour introduit une avancée significative en reconnaissant le droit à un climat sain comme un droit dérivé mais distinct du droit à un environnement sain. Cette reconnaissance répond à l’urgence, la complexité et la spécificité de la crise climatique. Elle permet de distinguer le régime de protection climatique des autres dommages environnementaux (pollution, perte de biodiversité).
Le climat sain est compris comme un système climatique libre d’interférences anthropiques dangereuses, dans l’intérêt de l’humanité et de la Nature.
Ce droit implique des obligations spécifiques : atténuation des GES, adaptation, transition vers un développement durable. Il s’appuie également sur les principes d’équité intergénérationnelle, de précaution et de prévention, tout en affirmant la nécessité d’un cadre normatif intégrateur qui articule les droits humains et les droits de la Nature.
La Cour dresse un constat alarmant : le dérèglement climatique est une des menaces les plus graves pour la jouissance des droits humains. Il cause des décès, maladies, atteintes à la santé mentale, insécurité alimentaire et déplacements forcés. La santé des enfants, des personnes âgées, des communautés autochtones et des groupes marginalisés est particulièrement affectée. La reconnaissance du climat sain permet d’imputer les atteintes aux droits humains à la responsabilité des États.
Dans un geste sans précédent à l’échelle interaméricaine, la Cour reconnaît que la Nature et ses composantes peuvent être titulaires de droits, dépassant ainsi la vision anthropocentrique classique. Elle affirme que les écosystèmes, en tant que systèmes complexes et interdépendants, doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridique autonome, orientée vers la prévention des dommages irréversibles.
Cette décision, prise par vote (4 voix contre 3), qui reconnait la personnalité juridique de la Nature, est une avancée normative légitime et compatible avec les principes interaméricains. Elle fournit des outils efficaces pour répondre à la triple crise planétaire : changement climatique, perte de biodiversité et pollution.
Cette approche renforce un modèle de développement véritablement durable, centré sur les limites planétaires, l’équilibre écologique et les droits des générations futures.
La Cour souligne que cette reconnaissance juridique s’inscrit dans une tendance mondiale croissante, illustrée tant par des constitutions (Équateur, Bolivie), que par des décisions judiciaires et politiques régionales et nationales, y compris en Amérique du Nord.
Parmi les exemples cités, la Cour mentionne spécifiquement le cas de la rivière Magpie (Mutehekau-shipu), au Québec (Canada), reconnue comme sujet de droits par la Municipalité régionale de comté de Minganie et la communauté Innu d’Ekuanitshit à la suite de l’adoption des résolutions miroirs en 2021.
L’inclusion explicite de la rivière Magpie dans une opinion consultative interaméricaine représente une légitimation internationale majeure pour les initiatives locales en faveur des droits des écosystèmes — une opportunité unique pour les mouvements citoyens, autochtones et municipaux qui portent ce changement de paradigme au Québec et ailleurs.
Cet exemple canadien occupe une place stratégique dans le texte, démontrant que même dans des États de tradition juridique occidentale, la reconnaissance des droits de la Nature est en marche.
La Cour prend note de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies dans le cadre du programme Harmonie avec la Nature, de quinze résolutions et treize rapports sur la jurisprudence de la Terre et les droits de la Nature, ainsi que du Pacte pour le Futur (2024) déclarant « la nécessité urgente d’un changement fondamental pour vivre en harmonie avec la Nature ».
La Cour rappelle que l’interdépendance entre les droits humains et ceux de la Nature est au cœur de la protection climatique. Sauvegarder les droits de la Nature, c’est aussi protéger le climat, les droits à la santé, à la vie, à un environnement sain, et ceux des générations futures. Ce croisement normatif impose aux États une obligation positive de restaurer, régénérer et protéger les écosystèmes, fondée sur la meilleure science disponible et les savoirs traditionnels.
La Cour consacre pleinement le principe de démocratie environnementale : accès à l’information, participation du public, accès à la justice. Face à la crise climatique, les décisions doivent être participatives, transparentes, inclusives et guidées par la diligence renforcée. La démocratie environnementale devient un levier de transformation du droit.
La Cour insiste également sur l’importance de l’éducation environnementale, de la coopération scientifique, de la transmission des savoirs autochtones, locaux et ancestraux, particulièrement pertinents dans les stratégies d’adaptation, de conservation et de transition écologique. Elle cite explicitement les peuples autochtones et afrodescendants comme acteurs clés de la réponse climatique en Amérique latine.
L’avis OC-32/25 marque une avancée doctrinale et jurisprudentielle historique : il unit dans un même souffle les droits humains, les droits de la Nature et l’urgence climatique. En reconnaissant la Nature comme sujet de droits et en consacrant le droit à un climat sain, la Cour interaméricaine propose un cadre normatif intégrateur, éthique et visionnaire, capable d’inspirer non seulement les États américains, mais la communauté juridique internationale dans son ensemble.